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10 novembre 2009 2 10 /11 /novembre /2009 12:47


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L’homme n’en est pas encore au point où il peut se passer des gouvernements. Des anarchistes comme Kropotkine étaient contre le gouvernement, la loi ; il voulait les dissoudre. Moi aussi je suis un anarchiste, mais de manière totalement opposée à celle de Kropotkine.

Je veux élever la conscience des êtres humains à un tel niveau que le gouvernement en devienne une chose futile, où les tribunaux soient vides, où personne ne soit tué, violé, torturé ou surmené. Vous voyez la différence ? Kropotine fait porter l’accent sur la dissolution des gouvernements. Le mien est d’élever la conscience des êtres humains afin que le gouvernement devienne inutile ; que les tribunaux ferment ; que la police commence à disparaître, car elle n’a plus de travail et que l’on dise aux juges « allez vous trouver un nouveau job ! » Je suis un anarchiste d’une toute autre dimension. Que les gens soient préparés d’abord, ensuite les gouvernements disparaîtront d’eux-mêmes. Je ne suis pas en faveur de la destruction des gouvernements ; ils remplissent un certain besoin. L’homme est tellement barbare, tellement laid, que s’il n’était pas restreint par la force, toute la société s’écroulerait.

Je ne suis pas pour le chaos. Je désire que la société humaine devienne un ensemble harmonieux, une vaste commune recouvrant le monde entier : des gens en méditation, des gens sans culpabilité, des gens sereins, du silence ; des gens joyeux, dansant, chantant ; des gens n’ayant aucun désir d’entrer en compétition avec les autres ; des gens qui ont abandonné l’idée même qu’ils sont spéciaux et doivent le prouver en devenant président des États-Unis ; des gens qui ne souffrent plus d’un complexe d’infériorité pour qu’enfin personne ne désire être supérieur aux autres, que personne ne se vante de sa grandeur.

Le gouvernement s’évaporera comme la rosée du matin sous l’effet des premiers rayons de soleil. Mais cela est une toute autre histoire, une approche toute différente. Jusque-là nous avons besoin des gouvernements".


Osho, 2004, pages 84-85



Ceci est une citation d’Osho (1931-1991) tirée d’un livre intitulé Liberté : le courage d’être vous-mêmes. À ma connaissance, Osho n’a jamais rien écrit mais ses discours ont été publiés dans de nombreux livres. J’ai voulu citer ce passage pour deux raisons. La première c’est qu’Osho se nomme lui-même « anarchiste spirituel » en disant : « Je ne suis contre rien ni personne. Je ne veux pas que vous soyez libérés de quelque chose, je désire simplement que vous soyez libres. Vous voyez la différence ? La « liberté de » n’est jamais totale ; ce « de » l’emprisonne dans le passé. La « liberté de » ne peut jamais être une véritable liberté. » La seconde raison, c’est que sa vision de la liberté est très similaire à la mienne bien que les mots soient différents ; bien sûr le phrasé ne compte pas, ce qui importe c’est le phénomène en lui-même.


Osho a parlé de la différence entre la rébellion et la révolution. La rébellion selon lui est un acte spirituel, le processus d’accomplissement d’une liberté « intérieure ». La révolution, a contrario, porte sur l’acquisition de la liberté de quelque chose et, en ce sens, elle ne s’occupe que de liberté « extérieure ». Par essence, désirer la révolution dans le monde extérieur ce n’est rien d’autre que couper les mauvaises herbes qui repoussent toujours plus fortes ; tandis que la rébellion c’est arracher les racines de ces mauvaises herbes. C’est ce qui explique pourquoi la Révolution Communiste n’a jamais réussi à accomplir une véritable libération des masses ; l’ancien système de pouvoir et de contrôle a été simplement remplacé par un autre ; une élite est remplacée par une autre. Voilà le problème potentiel que je vois dans l’anarchisme ; à moins que les racines des conflits humains ne soient détruites, l’anarchisme ne peut qu’évoluer en un nouveau conflit, un chaos, et alors certains groupes décideront qu’ils doivent soumettre les autres et leur imposer un système de contrôle afin de protéger leurs propres intérêts ; afin de préserver leur propre survie. Voilà pourquoi je pense que l’anarchisme doit être nourri de connaissance de soi, nous devons apprendre et nous comprendre ; pourquoi agissons-nous comme nous le faisons ? Pourquoi devons-nous sans cesse argumenter et proclamer haut et fort que nos positions sont « justes » et que les autres sont « fausses » ? Avant de pouvoir vivre en harmonie avec les autres, nous devons tout d’abord apprendre à vivre en harmonie avec nous-mêmes. Bien sûr, cela semble très hypothétique et je ne fais que suggérer ce que je pense être une approche « meilleure », ou du moins alternative. Bien sûr, je ne suis pas parfait et j’ai encore beaucoup à apprendre à mon propre sujet ; j’ai encore une longue route à faire avant d’être en paix avec moi-même, mais j’y travaille !


Selon moi, le meilleur moyen de changer le monde est d’élever la conscience, ou comme le dit Osho ci-dessus « d’élever la conscience des êtres humains jusqu’au point où le gouvernement devienne une chose futile ». Nous devons d’abord commencer par nous-mêmes, commencer par enlever cette mauvaise racine qui plonge si profondément dans l’esprit humain, l’ego ; c’est de là que viennent tous les problèmes du monde ; c’est de la que naissent tous les désirs de pouvoir et de puissance ; c’est de là que vient le chaos. Tandis que notre connaissance de nous-mêmes croît, nous découvrons que notre connaissance de la réalité grandit, car il n’y a pas de séparation, il n’y a pas de différence ; la différenciation seule cause des problèmes. J’ai lu récemment un antique dicton de l’Orient : « on n’a pas besoin de savoir que l’océan a un goût de sel pour ne pas boire de toute son eau ». Lorsque nous commencerons à comprendre notre nature et celle du monde qui nous entoure, alors nous commencerons à comprendre la véritable nature de phénomènes tels que le capitalisme, le consumérisme et le libre marché. Nous commencerons à percevoir le vrai du faux. Comme Osho le dit, la liberté ne se trouve pas dans le combat, car être contre quelque chose implique de rester associé à cette chose, dans un sens négatif et donc l’on ne peut en être libéré. C’est pourquoi nous devons essayer d’élever la conscience de tous ceux qui nous entourent ; si les gens commencent en masse à comprendre ce qui est vrai ou faux, et à percevoir les effets désirables que les choses peuvent avoir sur eux, alors ils peuvent les laisser partir et ne plus en porter le fardeau. Le résultat sera que ces phénomènes, qui ont causé un si grand déséquilibre dans le monde, perdront leur pouvoir et mourront. Tous les systèmes rigides de pensée n’ont de pouvoir que parce que nous croyons en eux ; une fois que l’on cesse d’y croire, ils ne sont plus nourris par nous, ils dépérissent et meurent. Mon approche est de prendre soin du monde, pas de le contrôler ; dire aux gens comment je vois ces choses, mais sans attente ; l’attente n’est que le désir de contrôle. Il appartient à l’individu de prendre ce qui lui est utile et de laisser ce qui ne l’est pas. Voilà, je le crois, quelle est notre responsabilité.


Paix.


Source :
http://blog.morgane.org/?p=205

Traduction française par Spartakus FreeMann, 1er mai 2009 e.v. 

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5 septembre 2009 6 05 /09 /septembre /2009 11:16



Extrait de "Propos sur le bonheur"

Lorsqu'un petit enfant crie et ne veut pas être consolé, la nourrice fait souvent les plus ingénieuses suppositions concernant ce jeune caractère et ce qui lui plaît et déplaît ; appelant même l'hérédité au secours, elle reconnaît déjà le père dans le fils ; ces essais de psychologie se prolongent jusqu'à ce que la nourrice ait découvert l'épingle (1), cause réelle de tout.


Lorsque Bucéphale, cheval illustre, fut présenté au jeune Alexandre, aucun écuyer ne pouvait se maintenir sur cet animal redoutable. Sur quoi un homme vulgaire aurait dit : "Voilà un cheval méchant". Alexandre cependant cherchait l'épingle, et la trouva bientôt, remarquant que Bucéphale avait terri blement peur de sa propre ombre ; et comme la peur faisait sauter l'ombre aussi, cela n'avait point de fin. Mais il tourna le nez de Bucéphale vers le soleil, et, le maintenant dans cette direction, il put le rassurer et le fatiguer. Ainsi l'élève d'Aristote savait déjà que nous n'avons aucune puissance sur les passions tant que nous n'en connaissons pas les vraies causes.


Bien des hommes ont réfuté la peur, et par fortes raisons ; mais celui qui a peur n'écoute point les raisons ; il écoute les battements de son cœur et les vagues du sang. Le pédant raisonne du danger à la peur ; l'homme passionné raisonne de la peur au danger ; tous les deux veulent être raisonnables, et tous les deux se trompent ; mais le pédant se trompe deux fois ; il ignore la vraie cause et il ne comprend pas l'erreur de l'autre. Un homme qui a peur invente quelque danger, afin d'expliquer cette peur réelle et amplement constatée. Or la moindre surprise fait peur, sans aucun danger, par exemple un coup de pistolet fort près, et que l'on n'attend point, ou seulement la présence de quelqu'un que l'on n'attend point. Masséna eut peur d'une statue dans un escalier mal éclairé, et s'enfuit à toutes jambes.


L'impatience d'un homme et son humeur viennent quelquefois de ce qu'il est resté trop longtemps debout ; ne raisonnez point contre son humeur, mais offrez-lui un siège. Talleyrand, disant que les manières sont tout, a dit plus qu'il ne croyait dire. Par le souci de ne pas incommoder, il cherchait l'épingle et finissait par la trouver. Tous ces diplomates présentement ont quelque épingle mal placée dans leur maillot, d'où les complications européennes ; et chacun sait qu'un enfant qui crie fait crier les autres ; bien pis, l'on crie de crier. Les nourrices, par un mouvement qui est de métier, mettent l'enfant sur le ventre ; ce sont d'autres mouvements aussitôt et un autre régime ; voilà un art de persuader qui ne vise point trop haut. Les maux de l'an quatorze vinrent, à ce que je crois, de ce que les hommes importants furent tous surpris ; d'où ils eurent peur. Quand un homme a peur la colère n'est pas loin ; l'irritation suit l'excitation. Ce n'est pas une circonstance favorable lorsqu'un homme est brusquement rappelé de son loisir et de son repos ; il se change souvent et se change trop. Comme un homme réveillé par surprise ; il se réveille trop. Mais ne dites jamais que les hommes sont méchants ; ne dites jamais qu'ils ont tel caractère. Cherchez l'épingle.


8 décembre 1922



Notes

(1) À cette époque, les langes des nourrissons étaient fixés par des épingles dites épingles à nourrice ; si l'épingle s'ouvrait malencontreusement, sa piqûre pouvait expliquer les cris de douleur de l'enfant. 

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5 août 2009 3 05 /08 /août /2009 13:32


Tu n’en as pas encore eu assez ? T’es pas malade de tout ça ? Tu devrais. La maladie est ta manière de vivre. Prends cette pilule, fais ce travail, mais on ne te donnera jamais assez de temps pour cuisiner, alors bouffe ce repas tout fait.


Hey, ça peut te tuer… Peut-être, mais pense aux pauvres enfants qui crèvent de faim en Éthiopie. Bien sûr, ton apathie pour la politique a contribué à cette merde, mais pense à eux ! Fais gaffe à ça, mange ceci, regarde cela, prends ta merde, bois ta bière et garde le sourire. Nous te dirons où tu dois aller, et quoi faire.


Tu en as marre d’être acheté et vendu comme du bétail ? Es-tu un mouton ou une chèvre ? Tu veux être mené par le bout du nez, ou pousser au cul les pasteurs, ensuite peut-être rendre fou le troupeau, exorcisant le Jésus qui est en eux ?


Il y a trop de tout de nos jours, tout ce qui – en un sens – n’est rien. Suivre les voisins et les modes tout en essayant de payer les factures, alors que ton attention est distraite par des bécasses vides dans la boîte à conneries. Cela te pousse jusqu’à un point où l’attention devient un effort trop important, et où les dépressions de la société deviennent un choix attrayant.


Et c’est exactement ce que NOUS voulons ! Les petits moutons fatigués, poussés à courir par les chiens fidèles toute la journée jusqu’à ce qu’ils soient trop fatigués et se soumettent, ils se brisent. Qui sommes-nous ? Aujourd’hui, presque tout le monde… Ton chef, tes gouvernants, les gens responsables de l’Île de la Tentation, du Juste Prix, toutes ces inepties déversées par la TV… Une immense confédération sans visage, essayant sans cesse de te pousser dans cette voie, et qui te convertit en fidèle de tout ce que nous voulons.


Mais tu peux être libre. Tu peux signer ta petite Déclaration d’Indépendance aujourd’hui, renverser la table sur la gueule de cette alliance des idiots qui te prennent tout ce que tu as ! Comment ? En nous ignorant et en suivant ta propre route. Oui, c’est si simple. Qu’est-ce que ça t’a apporté de nous offrir ton attention, si ce n’est te distraire et te déprimer ? À moins d’avoir fait cela, tu ne peux te posséder toi-même, même si tous tes besoins sont assouvis. Tu peux vivre la "vie" sauve, morte d’un serviteur, ou tu peux la vivre de la manière dont elle était destinée à l’être, excitante et terrifiante mais, en fin de compte, libre.


Extrait de "The Black Iron Prison" : 
http://www.principiadiscordia.com/bip/7.php

Traduction française par Spartakus FreeMann : http://stores.lulu.com/store.php?fAcctID=517113

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28 juillet 2009 2 28 /07 /juillet /2009 11:19



S’il faut en croire d’anciennes légendes, dans l’océan septentrional vit un poisson immense, qui peut prendre la forme d’un oiseau. Quand cet oiseau s’enlève, ses ailes s’étendent dans le ciel comme des nuages. Rasant les flots, dans la direction du Sud, il prend son élan sur une longueur de trois mille stades, puis s’élève sur le vent à la hauteur de quatre-vingt-dix-mille stades, dans l’espace de six mois.
Ce qu’on voit là-haut, dans l’azur, sont-ce des troupes de chevaux sauvages qui courent ? Est-ce de la matière pulvérulente qui voltige ? Sont-ce les souffles qui donnent naissance aux êtres ? Et l’azur, est-il le Ciel lui-même ? Ou n’est-ce que la couleur du lointain infini, dans lequel le Ciel, l’être personnel des Annales et des Odes, se cache ? Et, de là-haut, voit-on cette terre ? et sous quel aspect ? Mystères !
Quoi qu’il en soit, s’élevant du vaste océan, et porté par la grande masse de l’air, seuls supports capables de soutenir son immensité, le grand oiseau plane à une altitude prodigieuse.
Une cigale à peine éclose, et un tout jeune pigeon, l’ayant vu, rirent du grand oiseau et dirent :
- A quoi bon s’élever si haut ? Pourquoi s’exposer ainsi ? Nous qui nous contentons de voler de branche en branche, sans sortir de la banlieue, quand nous tombons par terre, nous ne nous faisons pas de mal ; chaque jour, sans fatigue, nous trouvons notre nécessaire. Pourquoi aller si loin ? Pourquoi monter si haut ? Les soucis n’augmentent-ils pas, en proportion de la distance et de l’élévation ?

Propos de deux petites bêtes, sur un sujet dépassant leur compétence. Un petit esprit ne comprend pas ce qu’un grand esprit embrasse. Une courte expérience ne s’étend pas aux faits éloignés. Le champignon qui ne dure qu’un matin ne sait pas ce que c’est qu’une lunaison. L’insecte qui ne vit qu’un été n’entend rien à la succession des saisons. Ne demandez pas, à des êtres éphémères, des renseignements sur la grande tortue dont la période est de cinq siècles, sur le grand arbre dont le cycle est de huit mille années. Même le vieux P’eng tsou ne vous dira rien de ce qui dépasse les huit siècles que la tradition lui prête. A chaque être, sa formule de développement propre.

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31 janvier 2009 6 31 /01 /janvier /2009 13:27


Extrait de : Le Mythe d’Icare, Traité du désespoir et de la béatitude – Tome 1, de André Comte-Sponville

 

Courbet disait à ses élèves : « Cherche si, dans le tableau que tu veux faire, il y a une teinte encore plus foncée que celle-là ; indiques-en la place, et plaque cette teinte avec ton couteau ou la brosse ; elle n’indiquera probablement aucun détail dans son obscurité. Ensuite, attaque par gradations les nuances les moins intenses, en t’essayant à les mettre à leur place, puis les demi-teintes ; enfin tu n’auras plus qu’à faire luire les clairs… » (1). Cela vaut aussi pour la pensée. Il faut commencer par le plus sombre, chercher « le vide, et le noir, et le nu », et dégager progressivement la lumière. Car la nuit est première. On n’aurait pas besoin autrement de penser. Il faut commencer par le désespoir.

Cette « nuit obscure » de la pensée, c’est le silence. Il faut beaucoup de temps pour y atteindre, et beaucoup de courage. Car jeunesse est bavarde, par impatience, et vieillesse aussi, le plus souvent, par lâcheté. Il faut d’abord se taire, et rentrer en soi. Car la nuit est en nous, point ailleurs, et en nous aussi la lumière. Mais il faut commencer par la nuit, vide et vague, et y séjourner longtemps. Avant le premier jour et le premier matin, il y a l’infini des nuits. Avant le premier mot, l’éternité du silence.

Il faut commencer par la solitude. Les autres nous distraient, nous divertissent, et nous éloignent de l’essentiel. Nous-mêmes ? Non. L’essentiel est en moi, mais n’est pas moi. En moi (dans mon corps) : ce vide. Il faut commencer par ce vide. Il faut commencer par l’angoisse. Et que serait l’angoisse sans la solitude ? Les autres me donnent l’impression d’exister, d’être quelqu’un, quelque chose… Alors que la solitude, pour qui la vit sans mentir, me révèle mon néant, m’enseigne ma vanité, le vide en moi de ma présence. Vérité de l’angoisse. Je découvre alors que je ne suis rien, qu’il n’y a rien en moi à découvrir, rien à comprendre, rien à connaître, que ce rien même. Solitude et silence : la nuit de l’âme.

Il faut commencer par cette nuit. S’y arrêter. Affronter cette angoisse. C’est pourquoi beaucoup ne commencent jamais, et tournent en rond aux portes d’eux-mêmes. Bavardage et divertissement, jeux du sens et de l’illusion, tours et détours du monde et de l’âme : labyrinthe. Mais parfois certains s’en lassent. Il y a des jours, on ne supporte plus le bavardage. On s’arrête. Enfin le silence. Enfin la solitude. Et l’angoisse est là comme un grand miroir vide. Ainsi dans le labyrinthe, quand il eut longtemps couru, quand il eut traversé ces milliers de salles, de couloirs, quand il se fut tellement perdu dans tous ces tours et détours, dans tous ces coins et recoins, dans toutes ces sinuosités sans nombre, d’impasse en impasse, de faux-fuyant en faux-fuyants, et toujours les mêmes portes, toujours les mêmes murs, il y eut un moment sans doute où Icare, épuisé, à bout de forces et de courage, hors de souffle et d’espérance, comprit qu’il n’y avait pas d’issue, nulle part, que sa course était vaine et folle, tous ses efforts inutiles, et tout espoir illusoire. Alors il s’arrêta. Et je devine le bruit de son souffle, et ce silence en lui comme une mort. Ou peut-être il n’eut pas besoin de courir, connaissant d’avance le génie sans faille de son père… Qu’importe. Je l’imagine assis par terre, le dos contre un mur, la tête sur les genoux… Et soudain la sérénité étrange qui le saisit. L’angoisse qui s’annule à l’extrême d’elle-même. Le désespoir.

 

Commencer par l’angoisse, commencer par le désespoir : aller de l’une à l’autre. Descendre. Au bout de tout, le silence. La tranquillité du silence. La nuit qui tombe apaise les frayeurs du crépuscule. Plus de fantômes : le vide. Plus d’angoisse : le silence. Plus de trouble : le repos. Rien à craindre ; rien à espérer. Désespoir.

(Le désespoir – pas la tristesse. Et même : le désespoir contre la tristesse. Car la tristesse n’est jamais que la déception d’un espoir préalable. Et nul espoir qui ne soit déçu, qui n’ait son lot de tristesse et d’inquiétude. Pièges du temps. Labyrinthe de vivre. Alors que le vrai désespoir – s’il est possible – ne saurait être triste : sans quoi il ne pourrait qu’espérer la fin de sa tristesse, et s’annulerait dans cette contradiction. Si la tristesse est un état négatif, le désespoir, au sens où je le prends, est un état neutre. Il est le degré zéro de l’espérance. Rien de plus ; rien de moins. C’est une espèce d’état sans avenir [puisqu’il n’est pas d’avenir qui ne soit d’espérance], dont il s’agit précisément d’évaluer la possibilité et les conséquences. Le désespoir, c’est le présent lui-même. Autrement dit : l’éternité de vivre (2). Le mot pourtant me gêne quelque peu, je l’avoue, pour ce qu’il évoque d’apparemment négatif ou triste, pour ses connotations de mélancolie, de vague à l’âme ou, pour tout dire, de romantisme. Si j’avais le goût des néologismes, j’eusse volontiers utilisé celui d’inespoir, comme faisait Mounier, et en un sens assez proche : « non pas le deuil de l’espoir mais son constat de défaut… » (3). Car c’est un peu cela – ce constat – que je voudrais après d’autres penser ; jusqu’au bout, si c’est possible, c’est-à-dire jusqu’à sa limite, et jusqu’en cet extrême où la béatitude à son tour devient pensable. Mais ce mot d’inespoir ne s’est pas imposé. C’est d’ailleurs justice, car le désespoir, même le plus neutre, n’est jamais un état originel ; il suppose toujours la force préalable d’un refus. L’espoir est premier ; donc : il faut le perdre. Le dés-espoir indique cette perte, qui n’est pas d’abord un état, mais une action. Le désespoir vient toujours après. Il est l’oiseau de Minerve de l’âme, et son commencement. Ainsi, dans l’histoire des nombres, l’invention ultime du zéro. L’enfant, lui, croit d’abord au Père Noël…).

 

…Descendre au plus bas, et puis remonter – si l’on peut. Mais il faut descendre. Parce que, dit Démocrite, « La vérité est au fond de l’abîme » (4).

 

(1) Cité par Aragon, L’exemple de Courbet, p.17.

(2) Cf. Wittgenstein, Tractatus logicus-philosophicus, 6.4311 : « Si l’on entend par éternité, non pas une durée temporelle infinie, mais l’intemporalité, alors celui-là vit éternellement qui vit dans le présent ».

(3) Emmanuel Mounier, L’affrontement chrétien, Seuil, p.22.

(4) Démocrite, fragment 117, Les penseurs grecs avant Socrate, G-F., p.190.
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