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31 juillet 2009 5 31 /07 /juillet /2009 11:16


"On cache la mort comme si elle était honteuse et sale. On ne voit en elle qu’horreur, absurdité, souffrance inutile et pénible, scandale insupportable, alors qu’elle est le moment culminant de notre vie, son couronnement, ce qui lui confère sens et valeur. Elle n’en demeure pas moins un immense mystère, un grand point d’interrogation que nous portons au plus intime de nous-mêmes.

Je sais que je mourrai un jour, bien que je ne sache pas comment, ni quand. Il y a un lieu, tout au fond de moi, où je sais cela. Je sais que je devrai un jour quitter les miens à moins que ce ne soient eux qui me quittent d’abord. Ce savoir le plus profond, le plus intime est paradoxalement ce que j’ai en commun avec tous les autres humains. C’est pourquoi la mort d’autrui me touche. Elle me permet d’entrer au cœur de la seule et vraie question : quel sens a donc ma vie ?
Ceux qui ont le privilège d’accompagner quelqu’un dans ses derniers instants de vie savent qu’ils entrent dans un espace de temps très intime. La personne, avant de mourir, tentera de déposer, auprès de ceux qui l’accompagnent, l’essentiel d’elle-même. Par un geste, une parole, parfois seulement un regard, elle tentera de dire ce qui compte vraiment et qu’elle n’a pas toujours pu ou su dire. La mort, celle que nous vivrons un jour, celle qui frappe nos proches ou nos amis, est peut-être ce qui nous pousse à ne pas nous contenter de vivre à la surface des choses et des êtres, ce qui nous pousse à entrer dans leur intimité et leur profondeur.

Après des années d’accompagnement de personnes vivant leurs derniers instants, je n’en sais pas plus sur la mort elle-même, mais ma confiance dans la vie n’a fait que croître. Je vis, sans doute, plus intensément, avec une conscience plus fine, ce qui m’est donné de vivre, joies et peines, mais aussi toutes ces petites choses quotidiennes, allant de soi, comme le simple fait de respirer ou de marcher. Peut-être suis-je devenue plus attentive à ceux qui m’entourent, consciente que je ne les aurai pas toujours à mes côtés, désireuse de les découvrir et de contribuer autant que je le peux à ce qu’ils deviennent ce qu’ils sont appelés à devenir. Aussi après des années auprès de ceux qu’on appelle des "mourants", mais qui sont bien des "vivants" jusqu’au bout, je me sens plus vivante que jamais. Cela, je le dois à ceux que je crois avoir accompagnés, mais qui, dans l’humilité dans laquelle les a plongés la souffrance, se sont révélés des maîtres.

Nous cherchons tous à voir à travers la mort. Y a-t-il quelque chose au-delà ? Où vont ceux qui nous quittent ? Question douloureuse pour beaucoup, plantée comme une écharde au cœur de notre humanité. Sans cette question, aurions-nous développé tant de philosophies, de réponses métaphysiques, tant de mythes ? La psychanalyse, de son côté, a conclus une fois pour toutes à l’irreprésentable de la mort. Elle s’est détournée de cette question qu’elle laisse volontiers en pâture aux philosophes pour ne s’intéresser qu’à la mort dans la vie, c’est-à-dire au deuil. Si la mort angoisse autant, n’est-ce pas parce qu’elle nous renvoie aux vraies questions, celles que nous avons souvent enfouies avec l’idée que nous les ressortirons plus tard, quand nous serons plus vieux, plus sages, quand nous aurons le temps de nous poser les questions essentielles ? Ceux qui approchent la mort découvrent parfois que l’expérience de l’au-delà leur est proposée dans l’expérience même de la vie, ici et maintenant. La vie ne nous promène-t-elle pas d’un au-delà à l’autre, au-delà de nous-mêmes, au-delà de nos certitudes, au-delà de nos jugements, au-delà de nos égoïsmes, au-delà des apparences ? Ne nous invite-t-elle pas à de constantes avancées et remises en question, à de constants dépassements ?

Ce livre va tenter d’explorer un miracle. Alors que la mort est si proche, que la tristesse et la souffrance dominent, il peut encore y avoir de la vie, de la joie, des mouvements d’âme d’une profondeur et d’une intensité parfois encore jamais vécues. Dans un monde qui considère que la "bonne mort" est la mort brutale, si possible inconsciente, ou du moins rapide afin de déranger le moins possible la vie de ceux qui restent, un témoignage sur la valeur des derniers instants de la vie, sur l’incroyable privilège que peut représenter le fait d’en être témoin, ne me semble pas superflu. Mieux encore, j’espère contribuer à une évolution de la société. Une société qui, au lieu de dénier la mort, apprendrait à l’intégrer à la vie. Une société plus humaine où, conscients de notre condition de mortels, nous respecterions davantage la valeur de la vie.

J’espère pouvoir sensibiliser le lecteur à la richesse d’un accompagnement des ultimes moments de la vie d’un proche. J’ai moi-même découvert cette richesse au fil des années. Ma vie en a été transformée. Mourir n’est pas, comme nous le croyons si souvent, un temps absurde, dépourvu de sens. Sans diminuer la douleur d’un chemin fait de deuils, de renoncements, j’aimerais montrer combien le temps qui précède la mort peut être aussi celui d’un accomplissement de la personne et d’une transformation de l’entourage. Bien des choses peuvent encore se vivre. Dans un champ plus subtil, plus intérieur, dans le champ de la relation aux autres. Quand on ne peut plus rien faire, on peut encore aimé et se sentir aimé, et bien des mourants, au moment de quitter la vie, nous ont lancé ce message poignant : ne passez pas à côté de la vie, ne passez pas à côté de l’amour. Les derniers moments de la vie d’un être aimé peuvent être l’occasion d’aller le plus loin possible avec cette personne. Combien d’entre nous saisissent cette occasion ? Au lieu de regarder en face la réalité de la proximité de la réalité de la mort, on fait comme si elle n’allait pas venir. On ment à l’autre, on se ment à soi-même, et, au lieu de se dire l’essentiel, au lieu d’échanger des paroles d’amour, de gratitude, de pardon, au lieu de s’appuyer les uns sur les autres pour traverser ce moment incomparable qu’est la mort d’un âtre aimé, en mettant en commun toute la sagesse, l’humour et l’amour dont l’être humain est capable pour affronter la mort, au lieu de cela, ce moment unique, essentiel de la vie, est entouré de silence et de solitude".
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